La société a besoin de repères, mais ils peuvent changer de place
Rêver un autre monde est bien souvent insoutenable, même pour ceux qui en subissent la cruauté au quotidien. La peur de l'inconnu étant encore plus forte si le rêve d'un monde meilleur n'est pas porté par une "foi à déraciner les montagnes".
La société des hommes a en effet un besoin viscéral de points de repère intangibles sans lesquels vivre ensemble serait bien difficile, et, peut-être même, vivre tout simplement serait impossible.
Dans l'univers amazonien des tribus indiennes chères à Claude Levi-Strauss, ce qui était important pour structurer le groupe c'était l'existence d'une ligne de partage. Elle était selon les cas située entre le nord et le sud, l'est et l'ouest, l'intérieur et l'extérieur. Peu importe la couleur, le sexe, les penchants sexuels, l'important c'est de pouvoir distinguer le proche de l'autre. Ce besoin irrépressible de pouvoir identifier l'autre par rapport à son propre clan se retrouve dans le clivage français "droite-gauche" qui trouve ses racines au coeur de la première assemblée constituante en 1789.
Ce qui nous distingue aujourd'hui des tribus amazoniennes ou de nos aieux de la fin du dix-huitième siècle, c'est la complexification d'un monde dans lequel aucune frontière simple ne peut plus être tracée. Le fameux effet papillon décrit l'interactivité forte d'événements apparemment totalement isolés. Le monde a changé, il faut bien accepter de changer de repères. Dans ce monde là il faut accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas pouvoir tout prévoir. Modestie et humilité deviennent des qualités précieuses.
La grande difficulté de mettre en oeuvre un changement de repères nécessaire mais encore jugé "irréaliste", c'est d'accepter la possibilité d'un autre paradigme qui décrirait la nouvelle organisation du monde. L'une des mission du politique est de permettre au peuple de percevoir cette possibilité de réalisation d'un avenir impensable.
L'art est difficile. Même les plus grands peuvent s'y brûler les ailes. Comme le rappelle à qui veut bien l'écouter Bronislaw Geremek, historien et homme politique polonais, c'était jusqu'à la dernière minute le cas pour le chancelier Helmut Kohl qui ne croyait pas à la possibilité que le "mur de Berlin" puisse tomber de son vivant. Et pourtant il est tombé sous la volonté du peuple au soir du 9 novembre 1989, alors même qu'il venait de faire cette prédiction à Bronislaw Geremek.
La société française n'échappe pas aux règles du vivre ensemble doit aujourd'hui inventer ses nouveaux modes de fonctionnement, même si les chantres du conservatisme ordinaire veulent tout changer sauf les règles d'accès au pouvoir qu'ils détiennent. Les mouvements de plaques tectoniques peuvent déclencher un tsunami, cette onde qui balaye tout sur son passage. D'aucuns prédisent que le peuple de France pourrait bien provoquer un tsunami électoral pour modifier un paysage qui ne serait plus adapté aux problèmes auxquels la France doit faire face.
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