Le spécialiste du "mou" n'hésitait pas à "travailler dans le dur"
Tous les journaux rendent hommage au prix Nobel de physique 1991 récemment disparu, et à ses travaux sur les phénomènes d’ordre dans les milieux complexes, en particulier les cristaux liquides et les polymères. Merci à Alain de me prêter son blog pour évoquer ici un souvenir personnel, celui d’une rencontre avec les jeunes du Lycée de Saint-Cloud le 29 avril 1993. L’homme avait un don exceptionnel pour éveiller les jeunes esprits. Pierre Braillard, ingénieur et élu local, avait alors relaté (Saint-Cloud informations - juin 1993) ainsi cette conférence d’un genre atypique :
« Anatole France, dans « le jardin d’Epicure » disait : « Il y a toujours un moment où la curiosité devient un péché, et le diable s’est toujours mis du côté des savants ». Le « savant » pourrait se concevoir comme un pèlerin ayant de fervents attachements à l’objet de ses recherches, toujours prêt à prendre son bâton, inépuisable le long de chemins parsemés d’embûches, d’un dévouement désintéressé, d’une curiosité illimitée et de bon aloi.
En ce cas, bien sûr, ce ne serait pas le diable qui se mettrait du côté des savants, mais bel et bien Dieu lui-même ! Ainsi nous est apparu Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel. Même si, au regard des esprits qui se veulent modernes, il peut sembler démodé qu’un chercheur soit aujourd’hui autre chose qu’un théoricien ou qu’un savant soit autre chose qu’un bonhomme en blouse blanche collé douze heures par jour derrière l’écran d’un super-ordinateur !
Cela fait du bien de rencontrer des chercheurs curieux de tout, curieux de la vie, qui ont la générosité de se rendre accessibles au commun des mortels !
Pierre-Gilles de Gennes est donc étonnant à bien des égards. Ses résultats et ses récompenses ne l’empêchent jamais de s’exprimer, en excellent pédagogue qu’il est, en donnant des exemples à la portée de son auditoire et faisant comprendre ce qui aurait pu être parfaitement rébarbatif.
Deux données sont pour lui le ciment absolu de toute pensée scientifique : une vaste culture scientifique jointe à une belle dose d’intuition. Pierre-Gilles de Gennes est une sorte de centaure, un hybride qui aurait les pieds sur terre et la tête dans un petit nuage scientifique.
Devant plus de quatre cents élèves et leurs professeurs, le professeur de Gennes était venu parler de ce que l’on appelle parfois « la matière molle », c’est-à-dire des systèmes physiques et moléculaires partiellement ordonnés. Deux heures durant il fut question de polymères, de colloïdes, de surfactants ou, plus communément, de détergents et, pour finir, de cristaux liquides. Et pour lier la sauce un peu savante, il décrivit comme la « poudre de perlimpinpin » le polymère (CH2CH20)n qui, ajouté en très petites quantités à beaucoup d’eau, permet d’observer le principe d’un siphon sans tube. L’eau se comporte alors comme un ressort qui, sur une faible hauteur, pourrait retenir son propre poids par la grâce des « pontages ».
Il nous conta comment des indiens d’Amazonie se faisaient aux pieds, et depuis fort longtemps déjà, des semelles de latex moulé à partir d’une saignée d’hévéa, et comment, en 1839, un certain Goodyear, essayant toutes sortes de combinaisons pour rendre le latex plus solide, devait inventer la vulcanisation du caoutchouc en faisant bouillir la précieuse sève de l’hévéa avec du soufre. Sa méthode est toujours en usage chez les manufacturiers de pneumatiques.
Puis il nous parla des « réductions de traînées » obtenues grâce aux polysaccharides. Il parla aussi « d’écoulements turbulents », de « couches limites » et d’encres qui n’étaient pas de Chine mais d’Egypte. Connues et inventées par les Egyptiens depuis plus de quatre mille ans. Parler de Pharaon à propos des colloïdes à stabiliser par des polymères, ce n’est certes pas banal ! Et il raconta bien d’autres choses encore… »
Véronique
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