330 hectares à Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines sont recouvert d’une « mer de déchets »: plus de 7.000 tonnes, le 20 avril 2018
© AFP Philippe LOPEZ
Carrières-sous-Poissy (France) (AFP) – Des montagnes de déchets en bord de route, près de la Seine ou en pleine forêt: les dépôts sauvages par des particuliers et surtout par des entreprises sont une maladie récurrente en Ile-de-France, accentuée par la difficile application des sanctions.
« Il y avait ici beaucoup d’activité agricole. La plaine a donné à manger à Paris pendant des décennies ». Debout sur la lande, Alban Bernard raconte l’histoire d’un bout de terre devenu une décharge sauvage.
Ce terrain de 330 hectares à Carrières-sous-Poissy (Yvelines) est aujourd’hui en partie recouvert d’une « mer de déchets »: plus de 7.000 tonnes, selon les calculs de ce riverain.
A perte de vue s’étalent des sacs de gravats éventrés, des pots de peinture, des montants de fenêtres, de la tôle, des planches, une baignoire et un radiateur, des tiroirs de bureau, un canapé…
Le sol, longtemps arrosé par les eaux usées de la ville de Paris, est imprégné de métaux lourds. Et depuis l’évacuation en 2017 de campements roms, les lieux ne sont plus qu’un immense dépotoir balayé par les vents.
« On a laissé faire », s’agace M. Bernard, qui a lancé une pétition et organisé deux rassemblements sur place. « Il faut se mobiliser pour vraiment dire stop » et « trouver un vrai projet pour la plaine », dit-il.
La communauté urbaine et le maire assurent avoir pris en main le problème mais habitants et associations, insatisfaits, en appellent à l’État. Une plainte contre X a été déposée mi-avril, notamment pour « gestion irrégulière de déchets » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Cet « océan de déchets » est le symptôme d’une maladie chronique en région parisienne: dans la forêt de Saint-Germain ou de Fontainebleau, sur les rives de la Marne et de la Seine, au bord de la nationale à Noisy-le-Sec, les dépôts sauvages font partie du paysage.
« Le déchet appelle le déchet. Un petit tas peut devenir énorme en peu de temps », résume Adeline Gerritsen, de l’association Organe de sauvetage écologique (OSE), qui organise des ramassages depuis 1990.
Matériaux d’isolation, peinture, amiante: les déchets du bâtiment, nombreux dans les tas d’ordures, « se dégradent très lentement » et abîment la biodiversité, rappelle-t-elle.
« Il n’y a pas d’état des lieux exhaustif » mais cette pollution peut atteindre « 20 à 25 kilos par habitant et par an » pour certaines collectivités, « dont une très grosse majorité de déchets d’artisans et du BTP », selon Sophie Deschiens, élue à la région Ile-de-France. Avec un coût important pour les finances publiques: 7 à 13 euros par habitant et par an, ajoute-t-elle.
Les tribunaux voient parfois passer ces histoires de déchets abandonnés, comme à Fontainebleau début avril: un chef d’entreprise qui benne des gravats ou un riverain qui se débarrasse des affaires de son ex-compagne.
Pour les professionnels, la manœuvre a un intérêt financier: le traitement des déchets coûte entre 100 et 500 euros la tonne, beaucoup plus pour les déchets dangereux, sans compter le temps et la main d’œuvre. Le business des décharges illégales organisées peut donc devenir très rapidement lucratif.
Mais face à ce « fléau », les sanctions restent trop rares, estime Pascal Thévenot, maire de Vélizy-Villacoublay (Yvelines), qui juge les édiles « démunis » et estime qu’une verbalisation directe, « comme pour un tapage nocturne », serait plus efficace.
La sanction encourue est une contravention de 5e classe de 1.500 euros, cinq fois plus pour les entreprises, avec possible confiscation du véhicule et dédommagement des collectivités.
« On reçoit un certain nombre de PV établis par des gardes champêtres ou des employés de mairie, mais c’est très rare qu’on arrive à identifier réellement l’auteur des faits », explique un magistrat spécialisé.
Faute de prendre les pollueurs en flagrant délit, « le fait de trouver un document nominatif (dans les déchets, NDLR) ne suffit pas forcément, parce qu’il y a une cascade de responsabilités dans le BTP » avec les sous-traitants, ajoute-t-il.
Confronté à un problème « en augmentation » avec 1.600 tonnes pour un coût de 900.000 euros par an, l’Office national des forêts (ONF) en est arrivé à installer des « pièges photographiques » dans les bois pour relever les plaques d’immatriculation: cinq procédures sont en cours.
De leur côté, artisans et entrepreneurs du bâtiment invitent à regarder en amont et en aval, du côté du maître d’ouvrage et du client qui cherchent parfois à faire « sauter » ce poste de dépenses.
« La réputation de l’artisan est de dire qu’il ne veut pas payer, c’est faux, mais on ne veut pas être la vache à lait de la déchetterie: il faut un juste prix », estime notamment Jean-Jacques Châtelain de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), qui parle d' »inégalité de traitement selon les territoires ».
L’association Environnement 93 appelle, elle, à « d’avantage de déchetteries » et à leur « gratuité » pour tous, avec plus de « traçabilité ».
« Pour respecter la règlementation », le « maillage du territoire » et l’accès aux déchetteries est « important », souligne Jean Passini de la Fédération française du bâtiment (FFB), qui insiste sur la nécessité de « valoriser les déchets » et de « recycler »: la clé est dans « l’économie circulaire », estime aussi Mme Deschiens.
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